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Canadian Public Health Association

Une démarche de santé publique à l’égard du travail du sexe

Une démarche de santé publique à l’égard du travail du sexe

C’est en 1993, dans le contexte de l’épidémie naissante de VIH, que l’Association canadienne de santé publique (ACSP) a commencé à s’intéresser aux lois régissant le travail du sexe, lorsque ses membres ont débattu une résolution demandant « au gouvernement canadien d’annuler les mesures législatives faisant de la sollicitation une infraction en vertu du Code criminel ».

En 2014, l’ACSP a publié un énoncé de position qui examinait les données probantes disponibles sur les aspects du travail du sexe au Canada ayant trait à la santé publique et qui présentait des recommandations pour que les politiques publiques sur cet enjeu soient efficaces et sérieuses.

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Depuis, la compréhension (fondée sur les données probantes) des éléments du droit canadien, des soins de santé, des organismes de services et des autres institutions qui contribuent aux résultats cliniques inéquitables des travailleuses et des travailleurs du sexe au Canada a beaucoup évolué. Par rapport à l’ensemble de la population, les travailleuses et les travailleurs du sexe ont plus de besoins de santé insatisfaits et font face à plus d’obstacles à l’accès aux composants de la santé et du bien-être. Quatre grands facteurs contribuent à ces iniquités marquées en matière de santé :

  • Le régime juridique fédéral qui criminalise le travail du sexe;
  • La stigmatisation liée au travail du sexe;
  • Les effets conjugués de plusieurs sortes de marginalisation structurelle;
  • Le manque de connaissances scientifiques sur les réalités et les besoins divers des travailleuses et des travailleurs du sexe, et sur les moyens efficaces de les aborder.

Le présent énoncé de position a pour objectif d’étudier dans son ensemble la compréhension actuelle du rôle que jouent ces aspects des politiques sociales et ces attitudes dans les résultats cliniques inéquitables des travailleuses et des travailleurs du sexe au Canada, et de recommander des mesures aux pouvoirs publics pour aborder ces iniquités.

RECOMMANDATIONS

L’ACSP appelle le gouvernement fédéral à :

  • Décriminaliser complètement le travail du sexe en abrogeant la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation (LPCPVE) et en supprimant la disposition de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) qui interdit aux personnes migrantes au Canada de pratiquer le travail du sexe.
  • Faire en sorte que les travailleuses et les travailleurs du sexe soient réellement consultés durant la conception des lois, des politiques et des programmes qui ont des incidences directes sur leur santé, leur sécurité et leur bien-être, en garantissant la protection de leur identité durant les consultations.

L’ACSP appelle les gouvernements provinciaux et territoriaux et les administrations régionales/locales à :

  • Faire en sorte que les services sociaux et de santé améliorent la qualité des services offerts aux travailleuses et aux travailleurs du sexe :
    • En formant le personnel en contact avec le public à offrir des soins sans jugement et sensibles aux traumatismes et à la violence;
    • En recrutant des personnes ayant une expérience vécue du travail du sexe pour concevoir et donner de la formation visant à éliminer la stigmatisation du travail du sexe et à mieux faire comprendre la diversité des situations et des besoins des travailleuses et des travailleurs du sexe;
    • En mettant en œuvre des politiques opérationnelles qui maintiennent les services et les mesures de soutien sans jugement et culturellement spécifiques nécessaires, facilitent l’accès aux services, préservent la confidentialité des renseignements personnels, respectent le pouvoir de décision des usagères et des usagers qui pratiquent le travail du sexe et reconnaissent que ces usagères et usagers ont des préoccupations relatives à leur santé physique, émotionnelle, sociale et psychologique qui peuvent ou non être liées à leur travail.
  • Financer des associations locales de travailleuses et de travailleurs du sexe pour que ces personnes puissent défendre leurs propres intérêts, faire de la sensibilisation et exécuter des programmes qui appuient leur sécurité, leur santé et leur bien-être.

L’ACSP appelle les services policiers et les organismes d’application de la loi à adopter des cours de formation et des politiques robustes pour éliminer le harcèlement, la violence, la stigmatisation et la discrimination envers les travailleuses et les travailleurs du sexe par leur personnel, et pour que les services policiers protègent convenablement les travailleuses et les travailleurs du sexe contre la violence et la coercition.

L’ACSP appelle les organisations professionnelles des domaines des soins de santé, de la santé mentale et des services sociaux à exiger que les programmes de formation professionnelle abordent la diversité des travailleuses et des travailleurs du sexe, les interactions sensibles aux traumatismes et à la violence avec les populations vulnérables, ainsi que l’humilité culturelle.

L’ACSP appelle les organisations de financement de la recherche à évaluer les lacunes et les déséquilibres dans la recherche sur le travail du sexe au Canada, et à changer leurs pratiques de financement pour établir un programme de recherche qui étudie la diversité des populations de travailleuses et de travailleurs du sexe et de leurs besoins de santé et qui produise des recommandations de politiques et des interventions fondées sur les preuves, pour favoriser des soins de santé et des services sociaux accessibles et de haute qualité pour les travailleuses et les travailleurs du sexe.

UNE DÉMARCHE DE SANTÉ PUBLIQUE À L’ÉGARD DU TRAVAIL DU SEXE

Dans un document de travail publié par l’ACSP en 2017, La santé publique : un cadre conceptuel, il est énoncé qu’une démarche de santé publique fait appel à la notion de justice sociale, considérée comme étant « un ensemble d’institutions qui permettent aux gens de mener une vie pleinement satisfaisante et de contribuer activement à leur communauté » et ancrée dans les droits « à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne » de la Charte canadienne des droits et libertés. La mission et les valeurs de l’ACSP sont particulièrement axées sur la santé des personnes et des communautés structurellement défavorisées et comprennent un engagement à « préconiser l’abolition des obstacles systémiques et structurels dans la société afin de créer les conditions de l’équité et de faire en sorte que chaque personne vive dans la dignité et ait des chances égales ».

Il est important de signaler les points de départ comme ceux-ci, fondés sur les valeurs, quand l’équité en santé pour les travailleuses et les travailleurs du sexe est en cause. Le travail du sexe est très stigmatisé dans la société canadienne, et il est antithétique à de nombreux groupes religieux, sociaux et politiques qui prônent des politiques qui ne cherchent pas à promouvoir la sécurité, la santé et le bien-être des personnes pour qui le travail du sexe est une activité économique. Comme les vies de cette population disparate sont structurées par de nombreuses formes de marginalisation et de vulnérabilité, une démarche de santé publique à l’égard du travail du sexe doit aussi tenir compte de ces barrières multiples.

Les travailleuses et les travailleurs du sexe et le travail du sexe au Canada

Les chercheurs, chercheuses et porte-parole canadiens considèrent généralement les travailleuses et les travailleurs du sexe comme des adultes qui échangent de façon consensuelle des services sexuels contre de l’argent ou des biens. En raison des défis de la recherche méthodologique, les données sur la taille et le profil démographique de la population des travailleuses et des travailleurs du sexe au Canada sont limitées, mais on sait que les travailleuses et les travailleurs du sexe sont des personnes dont l’identité raciale, culturelle et de genre, l’âge, l’orientation sexuelle, le revenu et le niveau d’instruction varient. À cause des conditions sociétales qui assurent la continuité de la défavorisation structurelle et qui limitent les possibilités économiques, les groupes autochtones, racisés et immigrants/migrants sont démesurément représentés parmi les travailleuses et les travailleurs du sexe au Canada (Bungay et al., 2015).

Les méthodes de recherche sur le travail du sexe
La recherche sur le travail du sexe implique des défis méthodologiques particuliers venant du fait qu’il s’agit de populations disparates et très stigmatisées, et que des risques de criminalisation se rattachent au fait de s’identifier comme pratiquant le travail du sexe. Les taux de mobilité élevés et la rareté relative des lieux de rassemblement physiques pour les travailleuses et les travailleurs du sexe entravent aussi le recrutement des sujets de recherche (Benoit et al., 2018; Bungay et al., 2015). Les défis tiennent aussi aux définitions divergentes de la catégorie du travail du sexe, qui reflètent souvent les divisions idéologiques entre les chercheurs ou chercheuses et l’hétérogénéité des travailleuses et des travailleurs du sexe et des types de travail qu’ils pratiquent (Bungay et al., 2015). Comme l’échantillonnage de travailleuses et de travailleurs du sexe qui sont relativement visibles (c.-à-d. qui pratiquent le travail de rue) domine la littérature scientifique nord-américaine sur le travail du sexe, les réalités des hommes, des personnes transgenres et des personnes qui pratiquent le travail du sexe hors rue ont tendance à être sous-représentées, et leurs points de vue sont souvent moins reconnus par les responsables des politiques et des lois (Bungay et al., 2021; Benoit et al., 2022).

Le travail du sexe se pratique dans divers milieux, urbains et ruraux, à l’extérieur (dans la rue), à l’intérieur (dans les commerces et aux domiciles des travailleurs et travailleuses ou de leur clientèle) et en ligne (Benoit et Shumka, 2015). Les lieux et les types de travail du sexe tendent à être corrélés avec les ressources et le privilège : plus une personne a de ressources financières et matérielles et d’instruction, plus elle est susceptible d’opter pour la sécurité relative et les autres avantages du travail du sexe en ligne (Machat et al., 2022). Bien que le travail du sexe de rue soit le plus visible, les chercheurs et les chercheuses croient que la majorité du travail du sexe se pratique à d’autres endroits. Quelques travailleuses et travailleurs du sexe fonctionnent seuls en tout temps ou une partie du temps, mais d’autres travaillent normalement avec des intermédiaires : agentes ou agents, propriétaires d’agences, régisseurs ou régisseuses, conducteurs ou conductrices, exploitantes ou exploitants de sites Web et personnel de sécurité.

Les personnes autochtones sont surreprésentées parmi les travailleuses et les travailleurs du sexe en raison des effets historiques et toujours présents du racisme et du colonialisme au Canada, qui entretiennent la défavorisation structurelle et de multiples vulnérabilités. Ces facteurs contribuent à la concentration relativement plus élevée de travailleuses et de travailleurs du sexe autochtones dans le travail de rue, avec les risques accrus que cela présente pour leur sécurité, leur santé et leur bien-être. Les effets du colonialisme sont aggravés dans le contexte de la criminalisation par la LPCPVE et de la stigmatisation qui s’y rattache, et ils entraînent des résultats encore pires pour les travailleuses et les travailleurs du sexe autochtones, comme des taux plus élevés de VIH, l’accès réduit aux services de santé, davantage de violence de la part de la clientèle et de la police, et la perte de la garde juridique de leurs enfants (Goldenberg et al., 2017a; Crago et al., 2022; Sharma et al., 2021; McBride et al., 2022a).

Prises de position autochtones sur le travail du sexe
En 2016, des porte-parole nationaux des travailleuses et des travailleurs du sexe ont réclamé que les points de vue de personnes autochtones pratiquant le travail du sexe soient pleinement représentés dans l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (FFADA), afin de montrer que la criminalisation du travail du sexe et les interventions policières excessives font augmenter la vulnérabilité à la violence et à l’exploitation (Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe, 2016). Les opinions opposées à la traite étaient prédominantes en 2018 durant l’audience de l’Enquête sur les FFADA sur la traite des êtres humains et la violence sexuelle (Conty, 2019). Bien que les opinions opposées à la traite et au travail du sexe prévalent actuellement dans les prises de position publiques de nombreuses communautés et organisations autochtones, il existe une ouverture croissante aux approches favorables aux droits des travailleuses et des travailleurs du sexe dans quelques communautés et programmes de services sociaux en Colombie-Britannique, à Toronto et à Montréal (S. Hunt, communication personnelle, 10 juillet 2023).

La plupart des travailleuses et des travailleurs du sexe migrants qui entrent au Canada en quête de meilleures possibilités économiques le font légalement. Contrairement à une opinion très répandue, les migrantes et les migrants qui travaillent dans les « salons de massage » n’arrivent pas au Canada en tant que victimes du trafic sexuel; la plupart entrent dans l’industrie par choix et en apprécient les salaires relativement élevés et les horaires souples, qui leur procurent un revenu plus stable, davantage d’autonomie et de contrôle, un sentiment d’appartenance et d’autres avantages sociaux (Malla et al., 2019).

Le régime juridique canadien entourant le travail du sexe

Des craintes subsistent quant aux répercussions des lois criminelles du Canada sur la santé, la sécurité et le bien-être des travailleuses et des travailleurs du sexe, malgré les modifications importantes apportées à ces lois au cours des 10 dernières années. En 2013, dans Canada (Procureur général) c. Bedford, la Cour suprême du Canada a rendu une décision qui a remis en cause les lois de l’époque, selon lesquelles le fait de communiquer en public à des fins de travail du sexe, d’exploiter ou de se trouver dans un bordel et de vivre des gains d’une autre personne acquis par le travail du sexe étaient des infractions criminelles. Invoquant l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, la Cour suprême a statué que ces dispositions portaient atteinte au droit à la sécurité des travailleuses et des travailleurs du sexe en réduisant leur capacité de travailler dans des conditions propices à leur sécurité.

En 2014, le gouvernement fédéral a réagi à la décision Bedford en modifiant le Code criminel avec la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation (LPCPVE). Cette loi, qui conçoit le travail du sexe comme relevant intrinsèquement de l’exploitation, vise à éliminer la demande de services sexuels et à protéger les personnes exploitées en criminalisant pratiquement toutes les activités liées à l’offre et à l’achat de services sexuels. Les gestes suivants sont actuellement criminalisés :

  • acheter des services sexuels et communiquer en vue d’organiser un tel achat;
  • toute communication dans les lieux publics par les travailleuses et les travailleurs du sexe en vue de vendre leurs propres services sexuels;
  • recevoir une rémunération liée à la vente de services sexuels par quelqu’un d’autre;
  • faciliter l’achat des services sexuels de quelqu’un d’autre;
  • annoncer les services sexuels de quelqu’un d’autre.

En 2022, agissant sur le mandat législatif d’examiner la LPCPVE, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a entendu des témoignages et reçu des mémoires écrits. Son examen a abouti à un rapport appelant le gouvernement à « [reconnaître] que le cadre établi par la [LPCPVE] permet difficilement de protéger la santé et la sécurité des travailleuses et travailleurs du sexe et [à reconnaître] qu’en fait, la Loi cause un préjudice grave aux personnes qui travaillent dans l’industrie du sexe en rendant le travail plus dangereux » (Chambre des communes, 2022).

Un autre élément majeur du régime pénal qui entoure le travail du sexe au Canada est la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), qui interdit aux personnes qui ne sont pas citoyennes ou résidentes permanentes de pratiquer le travail du sexe. S’il est découvert qu’elles pratiquent le travail du sexe, les personnes migrantes entrées au Canada légalement courent le risque d’être déportées.

Depuis les 20 dernières années, le mouvement de lutte contre la traite (composé de groupes aux positions idéologiques et aux intérêts parfois opposés) exerce une influence sur la politique gouvernementale. Cette influence se reflète non seulement dans la LPCPVE, la LIPR et la réglementation fédérale du secteur financier (Gouvernement du Canada, 2021), mais aussi dans les fonds de programmes qui vont aux prestataires de services sociaux. Par conséquent, une grande partie des programmes du secteur social axés sur les travailleuses et les travailleurs du sexe adoptent actuellement une démarche de lutte contre la traite qui exige que les usagères et les usagers s’identifient comme étant exploités et cherchant à « sortir » du travail du sexe pour avoir accès aux services offerts.

Effets de la criminalisation

L’un des effets les plus nocifs de la criminalisation est qu’elle limite partout la capacité des travailleuses et des travailleurs du sexe de travailler dans des conditions qui protègent leur sécurité et leur santé. Tant l’expérience des travailleuses et des travailleurs du sexe que les données de recherche montrent que le travail du sexe n’est pas dangereux en soi. Dans de multiples études de recherche, les travailleuses et les travailleurs du sexe conviennent que la violence ne fait pas partie intégrante de leur profession, mais qu’elle est exceptionnelle et vient souvent d’une petite partie de la clientèle (Atchison et al., 2015; Bungay et al., 2012; Casey et al., 2017; O’Doherty, 2011). En annonçant les modalités de service et en présélectionnant la clientèle par la communication et l’échange de coordonnées, on réduit le risque de violence pour les travailleuses et les travailleurs du sexe, car cela leur permet d’éviter les clientes et les clients agressifs ou en état d’ébriété et réduit les probabilités de conflits en personne (McBride et al., 2022b).

Comme la LPCPVE criminalise à la fois l’achat de services sexuels et les communications en vue d’organiser un tel achat, elle limite radicalement la capacité des travailleuses et des travailleurs du sexe de communiquer avec leurs clientes et leurs clients et de négocier des modalités de service (Atchison et al., 2015; McDermid et al., 2022). L’incapacité de sélectionner convenablement la clientèle de peur d’être repéré par la police augmente de plus du double la probabilité de violence de la part des clientes et des clients (Crago et al., 2022). La criminalisation de l’annonce de services sexuels réduit encore davantage la capacité des travailleuses et des travailleurs du sexe de se protéger en établissant à l’avance les modalités de leurs services sexuels (Bungay et Guta, 2018). Beaucoup de travailleuses et de travailleurs du sexe utilisent des réseaux en ligne pour atténuer le risque de violence de la part de leur clientèle, mais la censure des contenus en ligne liés au travail du sexe rend la chose plus difficile (Bernier et al., 2022). Parce que la criminalisation de la clientèle réduit le bassin de clientes et de clients prêts à accepter le risque d’acheter des services sexuels, certaines travailleuses et certains travailleurs du sexe doivent être moins sélectifs en acceptant des clientes et des clients, ce qui augmente aussi leur risque d’être victimes de violence (Krüsi et al., 2014). Les clientes et les clients qui craignent d’être repérés par la police peuvent chercher des lieux de rencontre discrets ou isolés qui laissent les travailleuses et les travailleurs du sexe encore plus vulnérables si la violence survient (McDermid et al., 2022). Dans un contexte juridique où la clientèle peut être plus exposée au risque pénal que les travailleuses et les travailleurs du sexe, des clientes et des clients deviennent plus agressifs en faisant valoir leurs exigences, ce qui accroît le risque de conflit (McDermid et al., 2022).

Comme les travailleuses et les travailleurs du sexe courent le risque d’être victimes de violence professionnelle, ils devraient, comme le reste de la main-d’œuvre canadienne, pouvoir recevoir l’aide des services policiers au besoin. En régime de criminalisation toutefois, les travailleuses et les travailleurs du sexe sont moins disposés à appeler la police en cas de violence, ou à courir le risque d’affrontements avec la police. Les clientes et les clients savent que la crainte de la police, chez les travailleuses et les travailleurs du sexe, peut empêcher ces personnes de signaler la violence dont elles sont victimes; les travailleuses et les travailleurs du sexe migrants, en particulier, courent des risques plus élevés de violence et de refus de porter un condom de la part des clients, qui partent du principe que ces personnes exercent moins de contrôle sur les modalités de service vu leur statut migratoire, la barrière linguistique et la crainte de la police (Bungay et al., 2012; Goldenberg et al., 2017b; McBride et al., 2020b). Selon une étude menée en 2022 dans cinq villes canadiennes, les travailleuses et les travailleurs du sexe que la peur de la police empêchait de composer le 911 en situation d’urgence étaient quatre fois plus susceptibles d’être victimes de violence de la part de leur clientèle (Crago et al., 2022).

Lorsqu’il y a une interaction avec les services policiers, leur présence est souvent inutile ou dangereuse pour les travailleuses et les travailleurs du sexe. C’est particulièrement le cas pour les personnes migrantes qui pratiquent le travail du sexe à l’intérieur d’un établissement, qui font l’objet d’un nombre disproportionné « d’inspections » sur leurs lieux de travail sous le prétexte de la lutte contre la traite; ces inspections peuvent conduire à des menaces, à la détention par les forces de l’ordre et à l’expulsion (McBride et al., 2019). Les répercussions de ces inspections pour les travailleuses et les travailleurs du sexe migrants incluent un stress psychologique important et un accès réduit aux services de santé (Réseau ontarien de traitement du VIH, 2012), ainsi que la réticence à dénoncer les clientes et les clients violents (McBride et al., 2020a). Selon une étude sur les travailleuses et les travailleurs des salons de massage dans cinq villes canadiennes, à peine 5 % des travailleuses et des travailleurs ayant contacté la police en situation de crise avaient vécu une expérience positive où la police leur avait apporté son aide (Bungay et al., 2012).

Les expériences courantes lors des interactions des travailleuses et des travailleurs du sexe avec la police sont le harcèlement, le racisme, les intrusions injustifiées, le ridicule et parfois purement et simplement la mise en danger physique. La violence policière touche plus souvent les travailleuses et les travailleurs du sexe autochtones, dont la santé et la sécurité sont donc plus menacées (Argento et al., 2020; McDermid et al., 2022; Crago et al., 2021). En retour, l’expérience d’altercations avec la police est fortement associée à la décision des travailleuses et des travailleurs du sexe de se réinstaller dans des endroits plus isolés, ce qui entraîne un plus grand risque de violence et réduit leur accès aux services de santé; c’est particulièrement vrai chez les travailleuses et les travailleurs du sexe qui sont jeunes ou autochtones (Argento et al., 2019a). Selon une étude menée en 2022 à Vancouver, chez les travailleuses et les travailleurs du sexe ayant été victimes de harcèlement policier, les taux de tentatives d’accès infructueuses aux traitements pour l’usage de substances étaient 1,5 fois plus élevés, et cette corrélation était plus prononcée chez les travailleuses et les travailleurs du sexe autochtones (Goldenberg et al., 2022).

Dans certains contextes, la criminalisation mène à un usage réduit du condom, et donc à un plus grand risque d’infections transmissibles sexuellement. Comme mentionné plus haut, certains clients sont réfractaires au port du condom avec les travailleuses et les travailleurs du sexe migrants, qu’ils pensent être trop craintifs d’appeler la police. De plus, comme les services policiers utilisent de temps à autre la découverte de condoms dans les effets d’une personne ou leur présence dans un lieu intérieur comme preuve que le travail du sexe y est pratiqué, certains travailleurs et travailleuses du sexe et certains établissements n’en utilisent pas ou n’en offrent pas (Anderson et al., 2016; Collier, 2014).

La promesse de la décriminalisation pour améliorer l’équité en santé

Une revue systématique et une méta-analyse de la recherche internationale sur les résultats cliniques des travailleuses et des travailleurs du sexe menées en 2018 l’ont confirmé : l’expérience des travailleuses et des travailleurs du sexe au Canada sous le régime de la criminalisation reflète les répercussions de la criminalisation à l’échelle mondiale : « Les contrôles policiers réels ou redoutés – le ciblage des travailleuses et des travailleurs du sexe, de leur clientèle ou des tiers qui organisent le travail du sexe – déplacent les travailleuses et les travailleurs du sexe vers des lieux de travail isolés et dangereux et désorganisent leurs stratégies de réduction des risques, comme la présélection de la clientèle, la négociation des modalités, le fait d’avoir des condoms avec soi et le travail avec d’autres » [traduction libre] (Platt et al., 2018). Les études internationales montrent que les travailleuses et les travailleurs du sexe connaissent des préjudices omniprésents pour leur sécurité, leur santé et leur bien-être sous les régimes de criminalisation, et que les sous-groupes de travailleuses et de travailleurs du sexe structurellement défavorisés, qui travaillent dans des conditions plus risquées, subissent des torts plus graves.

Comme la criminalisation nuit à la capacité des travailleuses et des travailleurs du sexe d’utiliser des stratégies de protection des rapports sexuels, dont le port du condom et le dépistage régulier des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS), elle maintient les conditions dans lesquelles des taux élevés de transmission d’ITSS peuvent se produire. En 2014, une étude internationale pionnière a découvert qu’il serait possible d’obtenir une baisse de 33 à 46 % des infections à VIH chez les travailleuses du sexe à l’échelle mondiale au cours des 10 prochaines années en décriminalisant le travail du sexe (Shannon et al., 2015). Pour toutes ces raisons, l’Organisation mondiale de la Santé et l’ONUSIDA ont avalisé la décriminalisation complète du travail du sexe, entre autres mesures, pour mettre fin au VIH et aux autres ITSS (Organisation mondiale de la Santé, 2022; ONUSIDA, s.d.).

Les avantages de la décriminalisation pour la santé et le bien-être des travailleuses et des travailleurs du sexe sont manifestes, selon les dizaines d’années de données probantes disponibles dans les régions ou les pays qui ont déjà décriminalisé le travail du sexe. Le précédent le plus connu est celui de la Nouvelle-Zélande, qui en 2003 a changé ses lois criminelles pour offrir un cadre juridique qui protège les droits humains de la plupart des travailleuses et des travailleurs du sexe, prévient l’exploitation et promeut le bien-être et la santé au travail des travailleuses et des travailleurs du sexe (Van der Meulen, 2011; Lazarus, 2022). Les avantages apportés par ces réformes se reflètent dans le soutien continu de la Nouvelle-Zélande à la décriminalisation du travail du sexe au cours des 20 dernières années. Entre autres résultats positifs, citons la meilleure santé sexuelle des travailleuses et des travailleurs du sexe, leur accès amélioré aux services de santé et la réduction de l’exploitation professionnelle (Macioti et al., 2022). La décriminalisation a accru le contrôle des travailleuses et des travailleurs du sexe de la Nouvelle-Zélande sur leurs conditions de travail, accru le port du condom et réduit la prévalence des ITSS (Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe, 2017). Les personnes migrantes qui pratiquent le travail du sexe en Nouvelle-Zélande font exception à ces résultats, cependant :  leur travail demeure criminalisé, et elles continuent de subir des résultats cliniques négatifs.

Décriminaliser complètement le travail du sexe veut dire supprimer les interdictions pénales pour l’ensemble des travailleuses et des travailleurs du sexe, y compris les personnes migrantes. Les deux instances à avoir complètement décriminalisé le travail du sexe, sans imposer de restrictions sur le lieu de ce travail, ni aux migrantes et aux migrants détenant des permis de travail, sont le Territoire du Nord de l’Australie (en 2019) et la Belgique (en 2022); nous n’avons pas encore de données de recherche sur les effets de ces changements sur la santé (Macioti et al., 2023).

Pour que la santé et la sécurité au travail des personnes pratiquant le travail du sexe soient protégés après la décriminalisation, il faudra réglementer l’industrie du sexe selon une approche pangouvernementale. Il faudra concevoir des mesures pour prévenir l’exploitation de la main-d’œuvre et pour y remédier, et d’autres mesures de santé et de sécurité, en consultation avec des travailleuses et des travailleurs du sexe pour que les politiques de lutte contre l’exploitation ne limitent pas leur capacité de travailler et de vivre en ayant accès aux mêmes services et aux mêmes soutiens que le reste de la population canadienne.

Effets de la stigmatisation du travail du sexe

Parce que les causes des iniquités en santé chez les travailleuses et les travailleurs du sexe au Canada dépassent le cadre juridique régissant le travail du sexe, d’autres mesures envisagées par les pouvoirs publics seront nécessaires pour lever les obstacles à l’accès des travailleuses et des travailleurs du sexe aux conditions favorables à la santé et au bien-être. Une source majeure de tels obstacles est la stigmatisation du travail du sexe, qui influence le maintien de l’ordre et la prestation des services sociaux et de santé.

La stigmatisation qui entoure le travail du sexe est le reflet de legs interculturels qui considèrent que les personnes qui vendent leurs services sexuels sont moralement et socialement inférieures, qu’elles incarnent les carences sociétales et qu’elles sont des vecteurs d’ITSS. Les effets de cette stigmatisation marquent profondément la vie des travailleuses et des travailleurs du sexe, dont leur perception de soi et leur bien-être mental; leur capacité d’obtenir du soutien affectif et social auprès de leurs familles, de leurs amis et de leurs communautés; et leur traitement par la police et par les prestataires des services sociaux et de santé (Benoit et al., 2018). Ces effets peuvent être aggravés par les répercussions de la stigmatisation intersectionnelle à l’endroit des travailleuses et des travailleurs du sexe appartenant à d’autres groupes structurellement défavorisés (p. ex. les travailleuses et les travailleurs du sexe immigrants ou migrants, asiatiques, autochtones et LGBTQ+) (Sou et al., 2017; Socías et al., 2016; Lyons et al., 2019).

La stigmatisation omniprésente (aggravée par l’ignorance au sujet du travail du sexe et des réalités diverses des personnes qui le pratiquent) limite de nombreuses façons l’accès des travailleuses et des travailleurs du sexe aux soins de santé appropriés. Elle conduit les prestataires de soins à avoir des jugements sans fondement à propos des pratiques professionnelles et de la vie de leurs usagères et de leurs usagers qui pratiquent le travail du sexe, et à les traiter de façon irrespectueuse et paternaliste. Dans la sphère des soins de santé mentale, la stigmatisation peut conduire les prestataires à considérer le travail du sexe comme étant la totalité de l’identité d’une usagère ou d’un usager, ce qui les empêche de comprendre les facteurs sous-jacents plus complexes de sa santé mentale (Bungay et Casey, 2019). L’ignorance des torts causés par la stigmatisation et la criminalisation, ou l’indifférence à leur égard, fait en sorte que des prestataires de soins de santé omettent de préserver la confidentialité des renseignements personnels de leurs usagères et de leurs usagers qui pratiquent le travail du sexe ou d’anonymiser leurs données.

La stigmatisation conduit aussi les personnels et les systèmes de santé à adopter une perspective trop étroite des ITSS. Cela se produit en dépit du fait que les ITSS ne sont pas intrinsèquement corrélées au travail du sexe, que la plupart des travailleuses et des travailleurs du sexe sont des spécialistes des rapports protégés, et que beaucoup se prêtent régulièrement à des tests de dépistage des ITSS. Les taux d’ITSS supérieurs à la moyenne chez les travailleuses et les travailleurs du sexe au Canada sont corrélés à leur appartenance à d’autres segments démographiques structurellement défavorisés et stigmatisés, dont les personnes faisant usage de drogues par injection (Réseau ontarien de traitement du VIH, 2012; Argento et al., 2019a; Rusakova et al., 2015; Shannon et al., 2007), les personnes autochtones (Argento et al., 2019a), les personnes migrantes (McBride et al., 2022a; McBride et al., 2020b) et les hommes qui pratiquent le travail du sexe (Baral et al., 2015). Des services de santé sexuelle efficaces pour ces populations nécessitent des programmes spécifiquement conçus et des soignantes et des soignants qualifiés qui comprennent la complexité des situations et des besoins de ces groupes.

La préoccupation excessive des systèmes et des prestataires de soins de santé pour la santé sexuelle des travailleuses et des travailleurs du sexe signifie que leurs besoins de santé mentale et physique peuvent ne pas être abordés et comblés (Bungay et Casey, 2019). Les préjugés des systèmes de santé afférents au travail de rue, à l’usage de substances, à la pauvreté et à l’agentivité structurent de façon significative l’accès des travailleuses et des travailleurs du sexe aux soins de santé (Bungay, 2013). Les expériences suivantes sont citées dans la littérature scientifique :

  • des prestataires qui tiennent pour acquis que les patientes et les patients qui pratiquent le travail du sexe manquent de contrôle ou de discipline, ce qui pousse ces prestataires à choisir des traitements à leur place, en les consultant très peu;
  • l’attention excessive accordée à l’usage de substances, même avec les patientes et les patients qui ne font pas usage de drogues;
  • le refus d’offrir des rendez-vous de traitement parce qu’il est tenu pour acquis que les travailleuses et les travailleurs du sexe font usage de substances et sont incapables de se présenter à un rendez-vous;
  • le refus d’offrir un traitement parce qu’il est tenu pour acquis que ces personnes sont en quête de drogue (Shannon et al., 2007).

Tous ces effets de la stigmatisation peuvent amener les travailleuses et les travailleurs à éviter de divulguer leur profession dans les contextes où la divulgation est d’une importance particulière pour recevoir des soins de qualité, et dans certains cas, à éviter les rencontres avec les prestataires de soins de santé, pour les soins courants et les soins urgents (Lazarus et al., 2012; Ross et al., 2021). De telles circonstances exacerbent les problèmes de santé existants pour beaucoup de travailleuses et de travailleurs du sexe, et elles retardent la détection des problèmes émergents. Ultimement, les effets de la stigmatisation contribuent au même résultat : les travailleuses et les travailleurs du sexe ont sensiblement moins tendance que le reste de la population canadienne à se dire en bonne ou en excellente santé (Benoit et al., 2016).

Les travailleuses et les travailleurs du sexe déclarent que leur santé mentale et leur stabilité émotive sont les aspects de la santé qui sont les plus difficiles à maintenir et disent éprouver des niveaux de dépression, d’anxiété et d’état de stress post-traumatique supérieurs à la moyenne (Benoit & Shumka, 2021; Benoit et al., 2022); celles et ceux qui sont marginalisés sur plusieurs fronts présentent des niveaux plus élevés de problèmes de santé mentale (Harris et al., 2023; Argento et al., 2019b; Lyons et al., 2019; Sou et al., 2017). Le stress professionnel chez les travailleuses et les travailleurs du sexe au Canada présente des corrélations significatives avec l’âge plus avancé et l’indigénéité, ainsi qu’avec les mauvaises conditions de travail et les comportements d’adaptation nuisibles pour la santé associés à la criminalisation (Sou et al., 2018; Duff et al., 2017).

Les systèmes et les prestataires de soins de santé ne peuvent répondre efficacement à ces besoins de santé spécialisés que s’ils reconnaissent la diversité du travail du sexe et des personnes qui le pratiquent et s’ils sont formés à offrir des soins non stigmatisants et culturellement appropriés. La participation d’associations de travailleuses et de travailleurs du sexe à l’élaboration et à la prestation de séances de sensibilisation pour les personnels de santé et à la conception et à la prestation de programmes de soins de santé pour leurs pairs est essentielle pour produire de bons résultats (Bungay et Casey, 2019). La recherche menée dans les instances principalement décriminalisées que sont la Nouvelle-Zélande et la Nouvelle-Galles du Sud en Australie fait état des résultats positifs obtenus par les programmes de promotion de la santé par les pairs qui emploient du personnel culturellement et linguistiquement diversifié et qui sont en lien avec les communautés transgenres, migrantes et autochtones (Macioti et al., 2022). 

Étant donné la fréquence à laquelle les travailleuses et les travailleurs du sexe font l’objet de harcèlement et de manque de respect de la part des forces policières au Canada, la sensibilisation au travail du sexe axée sur la lutte contre la stigmatisation doit aussi faire partie de la formation policière sur le travail avec les populations structurellement défavorisées.

Aborder l’intersectionnalité

Au-delà de la décriminalisation, de la sensibilisation et de l’élaboration de services, pour promouvoir l’équité en santé, il faut changer les politiques pour transformer les autres secteurs de la société où la stigmatisation et la discrimination ont les effets les plus profonds sur la vie des travailleuses et des travailleurs du sexe. Comme l’a affirmé l’éminente chercheuse canadienne Cecilia Benoit, ce qui est problématique dans le travail du sexe « est dans une large mesure un problème d’inégalité sociale dans les sociétés capitalistes et entre elles. Quand nous n’abordons pas les inégalités entre les sexes en même temps que les injustices économiques, raciales et autres, nos efforts sont appauvris et peuvent même aggraver la situation pour la diversité des gens qui pratiquent le travail du sexe » [traduction libre] (Benoit, 2021). Une démarche intersectionnelle à l’égard de l’équité en santé exige d’aborder le colonialisme, le racisme, la discrimination envers les populations LGBTQ2S+, les politiques antidrogues punitives, la précarité économique et les autres formes de défavorisation structurelle qui influencent la vie et les choix de bien des travailleuses et des travailleurs du sexe. La voie à suivre pour le Canada devrait être modelée sur les constats d’une étude de champ menée en 2022 en Australie :

Selon les données existantes sur le travail du sexe décriminalisé, la décriminalisation complète du travail du sexe est une première étape nécessaire de la démarche d’amélioration de la santé et du bien-être des travailleuses et des travailleurs du sexe dans toute leur diversité. Surtout, les données provenant d’instances décriminalisées soulignent que pour être le plus efficaces possible, les modifications législatives doivent s’accompagner de la poursuite de la justice sociale et de meilleures pratiques, de réponses réglementaires qui soutiennent les intentions de la décriminalisation, de la redistribution des ressources, de la prise en compte des facteurs structurels comme l’inégalité d’accès aux ressources, et de la lutte contre la stigmatisation et la discrimination intersectorielles. » [traduction libre] (Macioti et al., 2022) 

Lacunes et besoins de la recherche sur le travail du sexe

Le corpus de recherche actuel sur la santé des travailleuses et des travailleurs du sexe au Canada, qui reflète à la fois les difficultés méthodologiques et la stigmatisation des personnes qui pratiquent le travail du sexe, est caractérisé par un déséquilibre en faveur des types de travail du sexe et de leur lieu géographique et par une concentration étroite sur les résultats négatifs en matière de santé sexuelle (Bungay et al., 2021). Selon une analyse récente de 64 subventions fédérales de recherche en santé sur le travail du sexe octroyées entre 2003 et 2020, les études portant sur la santé sexuelle prédominaient, tandis qu’à peine 3 % portaient sur les services de santé, et aucune ne portait sur la recherche clinique. La plupart des projets de recherche abordent les comportements des travailleuses et des travailleurs du sexe; très peu s’intéressent aux déterminants structurels ou sociaux de leurs résultats de santé (Benoit et al., 2022).

Cette concentration étroite de la recherche limite l’élaboration d’interventions fondées sur les preuves pour améliorer la santé mentale et physique des travailleuses et des travailleurs du sexe. Il est particulièrement important d’axer la recherche sur ces domaines, car la plupart des personnes qui pratiquent le travail du sexe n’ont pas accès aux prestations en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle qui se rattachent à beaucoup d’autres emplois, et elles peuvent ne pas avoir les moyens de payer pour les services de santé non couverts par les programmes de santé publique et les régimes d’assurance collective (Benoit et Shumka, 2015). Les organisations de financement de la recherche ont l’obligation de prendre acte des lacunes et des déséquilibres existants de la recherche en santé publique sur le travail du sexe au Canada et de changer leurs pratiques de financement pour établir des priorités de recherche éclairées par les preuves et capables d’améliorer la sécurité, la santé et le bien-être des travailleuses et des travailleurs du sexe.

CONCLUSION

Pour que le Canada respecte son engagement, dans la Charte canadienne des droits et libertés, de garantir à tous les gens du pays le droit « à la vie, à la liberté et à la sécurité de leur personne », les institutions et les particuliers doivent revoir leurs attitudes de longue date hautement dommageables à l’égard du travail du sexe. Pour commencer, la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation (LPCPVE) devrait être abrogée. Les solutions législatives ne sont toutefois que le premier pas. La stigmatisation systémique du travail du sexe et des personnes qui le pratiquent doit être éliminée en renforçant la sensibilisation et la formation des prestataires des services sociaux et de santé ainsi que des agentes et des agents de la paix dans toutes les sphères de compétence. Les travailleuses et les travailleurs du sexe devraient être au centre de la planification des programmes et des services qui appuient leur santé et leur bien-être, et les organisations de financement de la recherche devraient combler les lacunes et redresser les déséquilibres de la recherche sur le travail du sexe.

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