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Canadian Public Health Association

Cadre pour une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances

cadre pour une démarche de santé publique à l'égard de l'lusage de substances

ÉNONCÉ DE POLITIQUE

Le Cadre pour une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances de l’Association canadienne de santé publique

PRÉFACE

Des substances psychotropes ont été utilisées dans toute l’histoire de l’humanité pour des rituels spirituels et religieux, à des fins médicinales et par des proportions importantes de la population pour des raisons personnelles et dans le cadre d’interactions sociales. La caféine, la nicotine, l’alcool, le cannabis, le LSD et l’héroïne sont des exemples de substances psychotropes. Les interactions avec ces substances vont de l’abstinence au spectre de la consommation : bénéfique, non abusive, potentiellement dangereuse ou risquant de provoquer un trouble d’utilisation de substances.

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Tant l’usage des substances psychotropes que la réglementation de cet usage peuvent causer des méfaits. Bien que l’on invoque fréquemment une « démarche de santé publique » pour atténuer ces méfaits, il n’existe pas de consensus sur les valeurs et les perspectives à prioriser dans le domaine de la santé publique selon une telle démarche, ni sur ce que cela implique en pratique.

Le présent énoncé de politique présente une vue d’ensemble de ce que l’ACSP approuve comme étant une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances pour l’ensemble des substances psychotropes licites et actuellement illicites. Il décrit la démarche que l’ACSP utilisera pour élaborer des documents de plaidoyer ou de programmes sur les sujets connexes.

Le cadre englobe dix grands principes. Ces principes sont interreliés et peuvent être adaptés au contexte, aux populations, aux lieux ou aux substances. Étant donné la prévalence des effets néfastes de la stigmatisation associée aux substances psychotropes actuellement illicites, il est à espérer que l’application uniforme de ces principes fera diminuer cette stigmatisation.

Le cadre n’inclut pas tous les leviers disponibles, ni tous les critères qui pourraient devoir être pris en compte. Par exemple, les leviers législatifs et réglementaires sont d’importants outils d’intervention en santé publique; les déterminants commerciaux de la santé peuvent aussi être pertinents. Le cadre ne présente que les principes de base d’une démarche de santé publique, ce qui en fait un point de départ des discussions, et non leur point final.

Le langage employé dans le présent document se rapporte principalement au discours actuel sur les substances psychotropes illicites, mais il faut le considérer comme s’appliquant également à toutes les substances psychotropes, peu importe leur statut juridique. Par exemple, l’emploi du mot « drogue », particulièrement dans le contexte des personnes qui font (ou qui ont fait) usage de drogue ou des personnes ayant une expérience vécue, est généralement lié aux substances actuellement illicites, tandis que les substances psychotropes comme l’alcool ou la nicotine ne sont pas considérées comme étant des « drogues » dans la langue ordinaire.

Bien que le cadre ne contienne pas d’instructions précises sur sa mise en œuvre – car les caractéristiques propres à une situation nécessiteront une réponse adaptée –, il peut servir à éclairer l’élaboration de politiques, de procédures et de programmes pour tout le spectre de la consommation de substances.

TERMES CLÉS

L’usage de substances désigne la consommation de substances psychotropes – les drogues actuellement illicites, ainsi que l’alcool, le tabac et le cannabis – à des fins médicales, religieuses ou cérémonielles, pour le plaisir personnel ou pour gérer le stress, un traumatisme ou la douleur (Santé Canada, 2023). L’usage de substances peut être considéré sur un spectre : la consommation bénéfique, la consommation à faible risque, puis la consommation pouvant potentiellement mener à la dépendance et aux troubles d’utilisation de substances qui nuisent à la santé globale et au bien-être.
N.B. : Dans le présent document, les mots « substance » et « drogue » sont employés comme des synonymes.

Les personnes ayant une expérience vécue désignent les personnes qui font actuellement usage de substances et celles qui en ont fait usage par le passé.
N.B. : Dans d’autres contextes, l’expérience vécue peut renvoyer à d’autres expériences, comme une « expérience vécue de maladie mentale ».

Les personnes qui font (ou qui ont fait) usage de drogue désignent les personnes qui consomment actuellement ou qui ont déjà consommé de la drogue.
N.B. : Dans différents contextes, des personnes ou des groupes peuvent s’identifier à différents termes. Pour les besoins du présent document, ces termes sont utilisés de façon interchangeable.

CONTEXTE

En 2014, l’Association canadienne de santé publique (ACSP) a produit un document de travail intitulé Nouvelle démarche de gestion des substances psychotropes illégales au Canada (Association canadienne de santé publique, 2014). Les objectifs de ce document étaient d’examiner les informations disponibles sur l’usage, la prise en charge et les méfaits des substances illicites et de proposer un cadre d’intervention. Les démarches qui y sont décrites ont constitué le fondement de l’interprétation par l’ACSP d’une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances et ont exprimé une vision pour l’horizon 2025.

Après ce travail, l’ACSP a publié en 2017 La santé publique : un cadre conceptuel (Association canadienne de santé publique, 2017) dans lequel elle a exprimé en termes plus généraux sa définition d’une « démarche de santé publique » et les principes sous-jacents de sa démarche de défense des politiques. À l’époque, l’ACSP participait aussi à un projet et un plaidoyer en faveur de la légalisation du cannabis et de l’application d’une démarche de santé publique à l’égard du cannabis. Le projet visait à fournir des ressources sur le cannabis à l’intention du personnel professionnel et soulignait le besoin d’élargir la démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances.

En janvier 2020, l’ACSP a obtenu des fonds du Programme sur l’usage et les dépendances aux substances (PUDS) de Santé Canada pour mener un projet visant à renforcer les capacités du personnel professionnel et des communautés d’appliquer une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances. La définition d’une telle démarche a été la première étape nécessaire.

Malgré les progrès accomplis depuis 2014, la légalisation/commercialisation du cannabis et la crise non résolue de l’offre de médicaments toxiques ont mis en lumière le manque de coordination des services pour les personnes qui font usage de drogue, la stigmatisation continue de la consommation et les méfaits qui sont encore associés à la criminalisation de l’usage de certaines drogues. Il est donc important pour l’ACSP d’affirmer clairement et publiquement sa définition d’une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances pour jeter les bases d’une meilleure coordination de la riposte à cet usage. Cette mesure se justifie aussi par l’absence de consensus dans les milieux professionnels (Watson, 2023) et dans la littérature scientifique sur la définition d’une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances, et par le fait que la plupart des tentatives pour définir une démarche de santé publique ne sont pas centrées sur les voix des personnes qui font (ou qui ont fait) usage de drogue.

L’ACSP a dialogué avec des prestataires de la santé publique, de la sécurité publique, de la santé et des services sociaux et des personnes ayant une expérience vécue de l’usage de substances pour définir les champs d’action prioritaires, cerner les obstacles à leur mise en œuvre et éclairer le Cadre pour une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances. Comme les autres documents publiés par l’ACSP, ce cadre ne prétend pas être un traité faisant autorité sur le sujet; il cherche plutôt à définir la perspective que l’ACSP a établie – en collaboration avec les communautés et les parties prenantes – pour jeter les bases des travaux futurs.

ÉLABORATION DU CADRE

L’élaboration du cadre a commencé en 2020 avec la définition générale d’une démarche de santé publique telle qu’exprimée dans La santé publique : un cadre conceptuel (Association canadienne de santé publique, 2017) :

La santé publique peut être vue comme une démarche de maintien et d’amélioration de la santé des populations fondée sur les principes de la justice sociale, des droits de la personne et de l’équité, sur des politiques et des pratiques éclairées par des données probantes et sur la prise en compte des déterminants de la santé sous-jacents.

L’élaboration a été un processus itératif auquel il a été jugé important de faire participer concrètement les personnes qui font (ou qui ont fait) usage de drogue. Les descriptions des piliers du cadre sont éclairées et appuyées par différentes sources : des preuves scientifiques corroborées par des pairs, la littérature grise, un sondage auprès du personnel professionnel concerné, ainsi que des données recueillies à la faveur de groupes thématiques et d’activités de participation communautaire.

Recherche à l’appui

Une analyse rapide de la littérature grise et de la littérature spécialisée portant sur une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances a été effectuée pour éclairer la première itération du cadre. La méthode de cette analyse a été publiée en septembre 2022 (Kosteniuk B, 2022). Fondés sur les constats préliminaires de l’analyse, les éléments présentés dans le cadre sont alignés sur ceux dans la littérature analysée.

Participation communautaire

L’élaboration du cadre a été éclairée par des personnes et des communautés de tout le Canada à la faveur d’entretiens avec des informateurs et des informatrices : des personnes ayant une expérience vécue, des praticiennes et des praticiens de la santé publique, des prestataires de la santé et des services sociaux et d’autres professionnelles et professionnels. Des partenaires communautaires et des personnes ayant une expérience vécueont participé à des groupes thématiques pour apporter un éclairage sur les obstacles à l’application d’une démarche de santé publique, notamment les lacunes dans les connaissances et les capacités des prestataires de services. À partir de ces données, une liste provisoire des principes d’une démarche de santé publique a été dressée et présentée lors de tribunes d’échange de connaissances avec des partenaires communautaires (Manitoba Harm Reduction Network, la Stratégie antidrogue de Thunder Bay et Mainline Needle Exchange [un programme du centre d’amitié autochtone Mi’kmaw]). Les personnes participantes ont été invitées à commenter chaque pilier du cadre et à réfléchir à ce qui fait obstacle à une démarche de santé publique existant dans leur communauté.

En 2021, l’ACSP a mené une enquête nationale auprès du personnel professionnel de la santé publique, de la sécurité publique, de la santé et des services sociaux pour mieux comprendre les croyances, les connaissances, les capacités individuelles et organisationnelles, l’accès à l’information, les ressources et la formation des principales parties prenantes en lien avec l’usage de substances. Le rapport final de l’enquête apporte un éclairage sur l’interprétation d’une démarche de santé publique par les répondantes et les répondants. Enfin, un groupe de référence spécialisé composé de personnes ayant une expérience vécue de l’usage de substances, de prestataires de la santé et des services sociaux et de professionnelles et de professionnels de la sécurité publique a participé au processus en formulant des commentaires et en se prononçant sur la démarche. À chaque étape de la participation communautaire, le cadre a été ajusté en fonction des priorités et de la rétroaction reçue.

UN CADRE POUR UNE DÉMARCHE DE SANTÉ PUBLIQUE À L’ÉGARD DE L’USAGE DE SUBSTANCES

L’ACSP considère qu’une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances est une démarche qui :

  • Respecte l’autonomie et le droit à l’autodétermination des personnes qui font usage de substances.
  • Reconnaît qu’il existe un spectre d’usage de substances, avec des méfaits et des bénéfices, et se concentre sur la réduction des méfaits possibles et l’optimisation des avantages possibles.
  • Aborde l’usage de substances selon un cadre de santé et de droits de la personne et non un cadre de justice pénale, tout en reconnaissant les torts historiques et actuels des politiques antidrogues.
  • Reconnaît que les personnes ayant une expérience vécue de l’usage de substances sont des spécialistes, collabore avec elles et les rémunère équitablement pour leur travail.
  • Appuie les déterminants de la santé sous-jacents et aborde les iniquités en santé.
  • Vise à protéger et à promouvoir la liberté, la santé, le bien-être et la sécurité des personnes qui font usage de substances.
  • Est collaborative et globale et s’assure qu’il y a un continuum de programmes et de services qui rejoignent les gens là où ils se trouvent.
  • Est sensible aux traumatismes et à la violence, transformative dans le domaine du genre, antiraciste, anti-oppression et culturellement sûre.
  • Travaille à mettre fin à la stigmatisation et à la discrimination.
  • Est pragmatique et éclairée par les données probantes.

PRINCIPES D’UNE DÉMARCHE DE SANTÉ PUBLIQUE À L’ÉGARD DE L’USAGE DE SUBSTANCES

Une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances est une démarche qui :

Respecte l’autonomie et le droit à l’autodétermination des personnes qui font usage de substances.

Autodétermination : le droit d’un peuple d’exploiter librement ses possibilités de développement économique, politique, social et culturel (Justice Canada, 2021). Au Canada, ce terme est principalement employé pour désigner le droit inhérent des peuples autochtones à l’autodétermination, un droit qui est enfreint dans les politiques et les pratiques coloniales du Canada.

Une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances reconnaît que les gens ont le droit de prendre des décisions au sujet de leur santé et de leur bien-être, ce qui inclut leur usage de substances. Elle reconnaît qu’ils sont les mieux placés pour savoir quels sont leurs propres besoins et préférences. Elle vise à les habiliter en respectant leur autonomie, en les aidant à faire des choix éclairés et en s’assurant que leurs voix sont au centre des décisions qui concernent leurs soins. L’utilisation d’une telle démarche crée des liens de confiance et de collaboration entre les gens et le personnel professionnel de la santé, ce qui permet aux personnes qui font (ou qui ont fait) usage de drogue de participer activement à leurs propres soins et de faire des choix qui concordent avec leurs valeurs et leurs objectifs.

Il est particulièrement important de respecter le principe de l’autonomie et du droit à l’autodétermination, étant donné les effets disproportionnés des méfaits liés à l’usage de substances chez les personnes autochtones au Canada. En reconnaissant que ces personnes ont été privées de leurs droits par le passé, une démarche de santé publique admet les torts actuels et historiques causés par la colonisation (p. ex. les traumatismes intergénérationnels, la marginalisation sociale et économique, la dépossession des terres, l’accès limité aux soins de santé et aux services de soutien culturellement appropriés), et elle respecte le droit des personnes autochtones de prendre les décisions qui concernent leurs propres soins en matière de santé et d’usage de substances. Cela consiste à travailler en partenariat avec les communautés autochtones pour que les programmes, les politiques et les services concordent avec leurs valeurs culturelles et leurs traditions distinctes.

Reconnaît qu’il existe un spectre d’usage de substances, avec des méfaits et des avantages, et se concentre sur la réduction des méfaits possibles et l’optimisation des avantages possibles.

Réduction des méfaits : un mouvement politique, une philosophie et un ensemble de principes pour éclairer les politiques, les programmes et les pratiques qui vise à réduire les méfaits associés à l’usage de drogues et aux politiques et lois antidrogues. La réduction des méfaits tient pour acquis que l’abstinence ou la réduction de l’usage de substances ne sont pas nécessaires pour avoir droit au respect, à la compassion ou aux services (Réseau canadien d’info-traitements sida (CATIE), s.d.).

Une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances nécessite de comprendre pourquoi les gens utilisent des substances et de chercher à réduire les méfaits et à maximiser les avantages éventuels associés à l’usage de substances. Elle reconnaît que de tout temps, des substances ont été utilisées à des fins spirituelles, médicinales, sociales et pour le plaisir. L’usage de substances peut être représenté sur un spectre (voir la Figure 1) incluant la non-consommation, la consommation bénéfique, la consommation à moindre risque, la consommation à risque élevé et la dépendance ou le trouble d’utilisation de substances. Les gens peuvent se déplacer le long de ce spectre ou se trouver à différents stades pour différentes substances au fil du temps (Santé Canada, 2022). Le spectre n’est pas linéaire; autrement dit, les gens peuvent rester au même stade pendant des années et ne jamais verser dans la consommation à risque élevé ou le trouble d’utilisation de substances. Sans exiger une diminution de l’usage de substances, une démarche de santé publique vise à en réduire les risques et à en accroître les avantages éventuels à chaque stade.

Spectre de la consommation de substances (Santé Canada, 2022)
Figure 1 : Spectre de la consommation de substances (Santé Canada, 2022)

La réduction des méfaits liés à l’usage de substances consiste aussi à cibler les méfaits causés par la stigmatisation et la discrimination, la criminalisation et le risque de surdose. Il faut admettre l’existence de ces méfaits, mais il faut aussi reconnaître les raisons pour lesquelles les gens utilisent des substances et les avantages qu’elles apportent, comme le soulagement de la douleur, la gestion des traumatismes, l’appui aux traitements des toxicomanies, les liens sociaux, le plaisir, la récréation et l’appui à la santé mentale et au bien-être en général. 

Aborde l’usage de substances selon un cadre de santé et de droits de la personne et non un cadre de justice pénale, tout en reconnaissant les torts historiques et actuels des politiques antidrogues.

Cadre de la santé et des droits humains : approche qui propose un ensemble de principes clairs pour établir et évaluer les politiques de santé et la prestation des services et qui cible les pratiques discriminatoires et les relations de pouvoir injustes qui sont au cœur des résultats cliniques inéquitables (Organisation mondiale de la Santé, 2023).

Politiques antidrogues : les lois qui interdisent la possession, la distribution et la production de substances illicites sans autorisation et les lois qui régissent la production et la distribution des substances licites (Coalition canadienne des politiques sur les drogues, 2022). Les politiques antidrogues peuvent aussi inclure les cadres réglementaires (c.-à-d. la réglementation et les orientations afférentes à la fabrication, à la distribution, à la promotion et à la vente de substances).

Une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances implique le recours constant à un cadre de la santé et des droits humains plutôt qu’à la démarche de justice pénale employée pour aborder certaines classes de médicaments au Canada. La démarche de justice pénale cause des torts démesurés aux personnes et aux communautés déjà aux prises avec de vastes iniquités systémiques, dont les personnes vivant avec la maladie mentale et les communautés noires et autochtones. Il est de plus en plus démontré que les mesures punitives et la criminalisation ne donnent pas les résultats escomptés de réduire la consommation de drogue et les méfaits qui y sont associés (Association canadienne de santé publique, 2004). Au lieu de traiter l’usage de substances comme une infraction criminelle ou selon des approches punitives, une démarche de santé publique met l’équité en premier et appuie la santé et les droits humains des personnes qui font (ou qui ont fait) usage de drogue. C’est une démarche guidée par la Charte canadienne des droits et libertés et la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies.

Reconnaît que les personnes ayant une expérience vécue de l’usage de substances sont des spécialistes, collabore avec elles et les rémunère équitablement pour leur travail.

Un partenariat sérieux, équitable et respectueux avec les personnes ayant une expérience vécue de l’usage de substances fait partie intégrante d’une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances. De tels partenariats sont nécessaires pour corriger les déséquilibres de pouvoir existants entre les personnes en position d’autorité (p. ex. les agentes et les agents de la santé ou de la sécurité publique) et les personnes ayant une expérience vécue, afin d’accorder la priorité aux points de vue des personnes ayant une expérience vécue. Les efforts pour créer un partenariat sérieux favorisent l’équité et l’accessibilité, renforcent les capacités de répondre aux besoins des communautés et permettent d’aborder plus efficacement les obstacles que connaissent les personnes ayant une expérience vécue.

Une démarche de santé publique doit absolument éviter la diversité de façade en collaborant avec des personnes de points de vue divers et d’identités croisées, et tenir compte du fait que chaque personne a une expérience différente de l’usage de substances et de la stigmatisation qui s’y rattache. Les personnes les plus touchées par les systèmes néfastes doivent être considérées en priorité, plus précisément les personnes noires et autochtones. Pour garantir une démarche de partenariat, il faut que les personnes ayant une expérience vécuesoient équitablement rémunérées pour leur travail, que leur contribution soit reconnue, et qu’on leur accorde les appellations d’emploi qui conviennent. Cela suppose de reconnaître à la fois l’expérience vécue et le savoir-faire professionnel et de faire en sorte que des personnes ayant une expérience vécueparticipent à toutes les étapes de l’élaboration des politiques, des programmes et des ressources.

Appuie les déterminants de la santé sous-jacents et aborde les iniquités en santé.

Déterminants de la santé : les caractéristiques et les comportements individuels, ainsi que les milieux sociaux, économiques et physiques.

Une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances joue un rôle décisif lorsqu’il s’agit d’aborder les déterminants de la santé sous-jacents et de réduire les iniquités en santé. En reconnaissant que l’usage de substances est influencé par des facteurs sociaux, économiques et environnementaux, cette démarche n’est pas uniquement axée sur les comportements et les choix individuels. Elle admet que les résultats cliniques dépendent de facteurs systémiques et structuraux plus larges, comme la pauvreté, la discrimination et l’accès aux ressources. En abordant ces déterminants, une démarche de santé publique vise à créer des milieux favorables et à préconiser des politiques qui réduisent les iniquités, qui offrent un accès équitable aux services et qui favorisent la réduction des méfaits, la prévention, et des options de traitement qui répondent à toute la gamme des besoins. Une telle démarche ne fait pas qu’aborder l’usage de substances : elle cherche aussi à améliorer la santé globale et le bien-être des populations, pour qu’une santé optimale soit véritablement à la portée de tout le monde.

Vise à protéger et à promouvoir la liberté, la santé, le bien-être et la sécurité des personnes qui font usage de substances.

Une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances vise à protéger et à favoriser la liberté, la santé, le bien-être et la sécurité des personnes qui font usage de substances. Elle reconnaît que l’usage de substances, comme tout autre comportement de santé, ne devrait pas être un motif de discrimination. Les interventions qui adoptent une démarche de santé publique visent à garantir que les personnes qui font (ou qui ont fait) usage de drogue ont un accès équitable aux soins de santé, aux traitements et aux services de soutien. Cela consiste notamment à créer des milieux exempts de jugement et de stigmatisation, où les gens se sentent à l’aise de demander de l’aide sans crainte d’être punis, criminalisés ou isolés socialement.

En reconnaissant et en abordant ces grands facteurs sociétaux, une démarche de santé publique peut créer une société plus juste et plus inclusive où les droits et la dignité de chaque personne, peu importe son usage de substances, sont protégés et défendus.

Est collaborative et globale et s’assure qu’il y a un continuum de programmes et de services qui rejoignent les gens là où ils se trouvent.

Une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances est caractérisée par sa nature collaborative et globale : elle englobe un continuum de programmes et de services conçus pour répondre aux besoins identifiés par les personnes elles-mêmes. En proposant une gamme de programmes et de services, dont des stratégies de prévention, la réduction des méfaits, le soutien social ou des options de traitement, une démarche de santé publique s’assure d’offrir un soutien qui est adapté à la réceptivité au changement de chaque personne au moment présent et qui répond à ses besoins particuliers.

Une démarche globale à l’égard de l’usage de substances doit informer les personnes qui font (ou qui ont fait) usage de drogue et leur donner accès à un continuum de services, dont des services de réduction des méfaits, des traitements et des services axés sur les déterminants sociaux (comme le logement), tout en éliminant la criminalisation de l’usage de drogues. Des études ont montré que si le traitement ou le rétablissement sont les objectifs uniques ou principaux d’un service offert aux personnes qui font (ou qui ont fait) usage de drogue, cela peut par inadvertance leur causer du tort (Charron, 2019). Ainsi, une démarche de santé publique est une démarche qui vise à offrir du soutien et des services aux personnes sur tout le spectre de la consommation de substances (voir Figure 1).

Est sensible aux traumatismes et à la violence, transformative dans le domaine du genre, antiraciste, anti-oppression et culturellement sûre.

Pratiques sensibles aux traumatismes et à la violence : façons de travailler et de concevoir des programmes, des politiques et des systèmes de services qui reconnaissent la prévalence et les répercussions continues des traumatismes et de la violence dans la vie des personnes qui ont recours aux soins de santé et aux services sociaux.

Transformatrices du genre : désigne les approches axées sur le double objectif d’améliorer l’état de santé et le statut social ou économique, ainsi que l’équité entre les sexes (Greaves, 2014).

Anti-racistes : actions ou pratiques qui ne font pas qu’affronter le racisme ou s’y opposer, mais qui ciblent et éliminent activement le racisme en changeant les systèmes, les politiques, les pratiques et les attitudes pour que le pouvoir soit redistribué et partagé équitablement (Calgary Anti-Racism Education, 2020).

Anti-oppression : actions ou pratiques qui affrontent les formes individuelles ou sociales de la discrimination, de la violence et de l’oppression qui se manifestent lorsqu’un groupe de la société exerce un pouvoir économique ou politique sur un autre (The Anti-Oppression Network, s.d.).

Sécurisation culturelle : résultat fondé sur une collaboration respectueuse qui reconnaît et essaie de corriger les déséquilibres de pouvoir inhérents du système de soins de santé. Elle résulte d’un environnement exempt de racisme et de discrimination et habilite les gens à puiser des forces dans leur culture, leur identité et leur communauté (First Nations Health Authority, s.d.).

Une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances reconnaît la relation bien attestée entre les traumatismes et l’usage de substances et cherche à s’assurer que les systèmes, les politiques et les programmes qui touchent les personnes qui font (ou qui ont fait) usage de droguesont sensibles aux traumatismes et à la violence (Greaves et al., 2020). Le but des pratiques sensibles aux traumatismes et à la violence (PSTV) est de créer un environnement où les personnes qui font (ou qui ont fait) usage de droguesont habilitées à prendre les décisions qui les concernent et où elles ne risquent pas de vivre ou de revivre des traumatismes. En adoptant une perspective transformatrice du genre, une démarche de santé publique reconnaît et aborde les dynamiques de pouvoir qui influencent la décision individuelle de commencer ou d’arrêter de consommer et les réponses individuelles aux programmes ou aux politiques, ainsi que les rôles et les identités de genre qui influencent la stigmatisation, la recherche d’aide et les méfaits causés par l’usage de substances.

Les structures, les établissements et les systèmes sociaux et de santé peuvent perpétuer l’oppression et le racisme et aggraver les méfaits causés par l’usage de substances en renforçant la stigmatisation et la vulnérabilité à la criminalisation et en empêchant l’accès aux soins de santé. Une démarche de santé publique cherche activement à désorganiser ces systèmes d’oppression tout en favorisant la sécurisation culturelle. Cela nécessite d’admettre les impacts de la colonisation, les déséquilibres de pouvoir et la discrimination touchant l’usage de substances et les personnes qui font (ou qui ont fait) usage de drogue, et de se concentrer spécifiquement sur un partenariat sérieux avec les communautés autochtones. Une démarche de santé publique encourage les efforts pour combler les lacunes dans les connaissances et pour élaborer des interventions personnalisées qui tiennent compte des effets des traumatismes, de la violence, de la culture, de la race et du genre.

Travaille à mettre fin à la stigmatisation et à la discrimination.

Stigmatisation : un ensemble profondément ancré de fausses croyances au sujet d’un groupe de personnes, ici les personnes faisant usage de substances. La stigmatisation est un stéréotype négatif qui peut mener au jugement, à l’oppression et à la discrimination (Santé Canada, 2022). Il en existe diverses formes : la stigmatisation perçue, la stigmatisation intériorisée ou autostigmatisation, la stigmatisation effective ou stigmatisation sociale, la stigmatisation structurelle et la stigmatisation intersectionnelle.

Discrimination : comportements négatifs envers les personnes qui s’écartent des normes sociétales, autrement dit les personnes stigmatisées. Les pratiques discriminatoires mènent à l’exclusion et préservent les iniquités touchant le groupe stigmatisé (Association canadienne pour la santé mentale, s.d.).

Une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances reconnaît les effets nocifs de la stigmatisation et de la discrimination touchant les personnes ayant une expérience vécue de l’usage de substances et travaille activement à les réduire. C’est une démarche qui admet que la stigmatisation et la discrimination, en plus d’exacerber les difficultés vécues par les personnes faisant usage de substances, nuisent à l’efficacité des efforts de prévention, de traitement et de réduction des méfaits.

La stigmatisation est omniprésente et à l’œuvre dans les communautés, les établissements et les systèmes. Les attitudes stigmatisantes profondément ancrées conduisent à la discrimination des personnes qui font (ou qui ont fait) usage de droguedans divers milieux, dont l’emploi, les soins de santé, le logement et le soutien social. On le voit par exemple quand des personnes qui font (ou qui ont fait) usage de droguese voient injustement refuser des emplois ou sont étiquetées par des professionnelles ou des professionnels de la santé comme étant en quête de drogue. Cette stigmatisation peut être intériorisée par les personnes qui font (ou qui ont fait) usage de drogue, causant des sentiments de honte et réduisant encore davantage l’accessibilité des services. Beaucoup d’autres pratiques stigmatisantes et discriminatoires vont au-delà des interactions personnelles et sont ancrées dans les politiques, les pratiques, les programmes et les lois. Il s’agit par exemple des critères d’accès aux soins ou au logement basés sur l’abstinence, des heures d’ouverture inaccessibles ou du sous-financement des services de santé axés sur la réduction des méfaits et l’usage de substances. Une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances cherche à réduire la stigmatisation et la discrimination individuelles et systémiques. Cela peut se faire en écoutant les personnes ayant une expérience vécue, en élaborant des ressources pédagogiques, en encourageant les évaluations organisationnelles, en promulguant une représentation responsable de l’usage de substances dans les médias et en réformant les politiques antidrogues.

Est pragmatique et éclairée par les données probantes.

Une démarche pragmatique et éclairée par les données probantes à l’égard de l’usage de substances reconnaît l’importance des preuves scientifiques tout en admettant que les preuves à elles seules, sans prise en compte du contexte, ne suffisent pas pour guider les décisions.

Le pragmatisme en santé publique vise à combler l’écart entre les preuves scientifiques et la pratique. Une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances est pragmatique lorsqu’elle accorde la priorité aux résultats pratiques et mesurables qui peuvent être obtenus dans la réalité sociale, économique et politique existante. Une démarche pragmatique reconnaît que les individus et les collectivités ont des besoins et des difficultés uniques en lien avec l’usage de substances. Les interventions de santé publique doivent donc tenir compte des facteurs culturels, sociaux et économiques et être adaptées au contexte. Le pragmatisme est un concept clé de la réduction des méfaits; il reconnaît que l’élimination complète de l’usage de substances n’est pas réaliste, réalisable ou même nécessaire dans bien des cas pour améliorer les résultats cliniques. Une démarche pragmatique vise avant tout à réduire le plus possible les méfaits et à maximiser les avantages éventuels de l’usage de substances au moyen d’interventions comme les programmes d’échange de seringues, la distribution de naloxone, les sites de consommation supervisée et les sources sûres de drogues. En réduisant certains des torts causés par l’usage de substances, les démarches pragmatiques peuvent protéger et promouvoir la santé individuelle et collective tout en reconnaissant la complexité de la consommation.

Les démarches à l’égard de l’usage de substances doivent aussi être éclairées par des données récentes et pertinentes qui reflètent les besoins et les voix des personnes qui font (ou qui ont fait) usage de drogue. Contrairement à la prise de décisions fondée sur les données, qui repose principalement sur les preuves scientifiques, les démarches éclairées par les données tiennent compte d’un vaste éventail de sources de données, dont les études de recherche, les revues systématiques, les données locales, l’expérience professionnelle, l’expérience vécue et les perspectives des parties prenantes, pour éclairer la prise de décisions et structurer les interventions ou les politiques.

CONCLUSION

Le Cadre pour une démarche de santé publique à l’égard de l’usage de substances inclut divers principes interreliés qui peuvent être à la base de l’élaboration de politiques, de programmes et de ressources sur l’usage de substances. Ce cadre continuera d’évoluer en fonction des commentaires des personnes ayant une expérience vécue de l’usage de substances, du personnel professionnel de la santé publique, des prestataires de la santé et des services sociaux et du personnel professionnel de la sécurité publique.

RÉFÉRENCES

Calgary Anti-Racism Education. Our Glossary. Calgary : CARED; 2020. 
Réseau canadien d’info-traitements sida (CATIE). Réduction des méfaits en général. Toronto : CATIE; s.d.
Coalition canadienne des politiques sur les drogues. La réglementation légale. Vancouver : CCPD; 2022.
Association canadienne pour la santé mentale. Stigma and Discrimination. Toronto : l’Association; s.d.
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