Projet de loi S-202
Remarques liminaires d’Ian Culbert, directeur général de l’Association canadienne de santé publique, devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie concernant le projet de loi S-202 – Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (étiquettes d’avertissement sur les boissons alcoolisées)
Mercredi 22 octobre 2025
Voir l’enregistrement de la réunion
Merci, madame la présidente, et honorables sénatrices et sénateurs, de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui.
L’Association canadienne de santé publique appuie fermement le projet de loi S-202, car les Canadiennes et les Canadiens ont le droit de connaître les risques pour la santé associés aux produits qu’ils consomment. Ce projet de loi garantirait que les boissons alcoolisées – comme d’autres substances reconnues comme nocives pour la santé – portent des étiquettes d’avertissement claires, factuelles et bien visibles indiquant leur teneur et les risques pour la santé liés à leur consommation.
L’alcool n’est pas une marchandise ordinaire. Il constitue une cause majeure de maladies évitables et de décès prématurés au Canada ; il est responsable de plusieurs types de cancer, de maladies du cœur, de cirrhose du foie et de nombreuses blessures. Pourtant, il demeure la substance nocive la plus consommée au pays.
En janvier 2023, le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances a publié les Directives du Canada sur l’alcool et la santé, qui résument des décennies de données scientifiques et concluent qu’aucun niveau de consommation d’alcool n’est sans risque. Pour réduire les risques pour la santé, il est recommandé de limiter la consommation à un maximum de deux verres standards par semaine.
Or, la plupart des gens ne savent pas ce qu’est un « verre standard » ni combien ils en consomment, car cette information de base n’apparaît sur aucune étiquette. Sans ces renseignements, les consommateurs ne peuvent pas faire de choix éclairés.
La situation contraste fortement avec celle de tout autre aliment ou boisson vendus à l’épicerie. Tous les aliments préemballés doivent comporter un tableau de la valeur nutritive précisant la taille de portion, les calories, les lipides, les sucres et les autres nutriments. Bientôt, nombre d’entre eux devront aussi afficher, sur la face avant de l’emballage, des symboles indiquant une teneur élevée en sodium, en sucres ou en gras saturés. Les boissons alcoolisées, toutefois, sont exemptées de ces protections élémentaires du consommateur – uniquement parce qu’elles contiennent de l’alcool.
Cette exemption est indéfendable. Elle ne repose pas sur la science, mais plutôt sur l’influence d’intérêts commerciaux puissants. Les déterminants commerciaux de la santé sont ici bien présents : les industries qui tirent profit de la consommation ont tout intérêt à ce que la population reste mal informée des risques que présentent leurs produits.
Un projet pilote mené au Yukon en 2017 – l’Étude sur les étiquettes d’avertissement dans les territoires du Nord – a démontré l’efficacité de l’étiquetage. En quelques semaines seulement, l’ajout d’avertissements sur le cancer, de renseignements sur le nombre de verres standards et des lignes directrices canadiennes sur la consommation à faible risque a entraîné une baisse des ventes d’alcool et un triplement de la connaissance du lien entre l’alcool et le cancer. Pourtant, malgré ces résultats prometteurs, l’étude a été interrompue après que des associations de l’industrie de l’alcool ont adressé des menaces juridiques au gouvernement du Yukon, forçant le retrait de l’avertissement sur le cancer. La fin prématurée de cette étude n’avait rien à voir avec la science ni avec l’éthique : elle résultait d’une ingérence corporative.
Cet épisode illustre clairement la manière dont les déterminants commerciaux de la santé peuvent saper les politiques de santé publique fondées sur des données probantes. Il montre que l’industrie de l’alcool cherche à maintenir la population canadienne dans l’ignorance, et ce n’est certainement pas un objectif que nos lois devraient favoriser.
Des décennies d’expérience avec le tabac et le cannabis démontrent que des étiquettes claires, factuelles et visibles modifient les comportements : elles accroissent la sensibilisation, font évoluer les normes sociales et, ultimement, sauvent des vies.
Il ne s’agit pas de restreindre les choix, mais d’assurer un consentement éclairé. Chacun et chacune au Canada mérite d’avoir accès aux mêmes renseignements de santé sur une boisson alcoolisée que sur un carton de lait ou une boîte de céréales.
En adoptant le projet de loi S-202, le Parlement comblerait une lacune flagrante en matière de protection des consommateurs, permettrait aux personnes de prendre des décisions plus saines et contribuerait à réduire le lourd fardeau des maladies et des coûts liés à l’alcool pour nos systèmes de santé et de services sociaux.
Il n’existe aucune raison défendable de continuer à priver la population canadienne de ces renseignements essentiels. Un étiquetage clair, équitable et fondé sur la science s’impose depuis trop longtemps.
Je vous remercie, et je serai heureux de répondre à vos questions.