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Canadian Public Health Association

Les risques et les aléas du jeu : comment les distinguer?

Pour que les enfants développent la résilience et les habiletés de gestion des risques qui les aideront à l’âge adulte, il est essential qu’ils jouent. La difficulté est de savoir concilier la prise de risques bénéfiques par les enfants et l’évitement des aléas et des dangers1. Le présent mémoire définit les risques et les aléas, énumère des stratégies pour les compenser et analyse le besoin d’avoir des terrains de jeu comportant des risques, mais non des aléas.

Définir les risques et les aléas

Un risque est la « combinaison de la probabilité d’occurrence d’un aléa et des conséquences pouvant en résulter sur les éléments vulnérables d’un milieu donné2 ». Un aléa est « un phénomène, une manifestation physique ou une activité humaine susceptible d’occasionner des pertes en vies humaines ou des blessures, des dommages aux biens, des perturbations sociales et économiques ou une dégradation de l’environnement3 », alors qu’un danger exprime « une situation ou un ensemble de circonstances mettant en péril directement ou indirectement, plus ou moins immédiatement, et plus ou moins gravement, la sécurité des personnes et (ou) des biens4 ». D’après ces définitions, les aléas sont les dangers présents dans l’environnement5, et les risques sont les probabilités de rencontrer ces dangers6. La gestion des risques est donc une démarche systématique visant à réduire ou à annuler les risques présents dans un environnement donné7. Ces définitions permettent une compréhension sommaire des risques et des aléas, mais il faut une analyse plus approfondie pour élaborer des politiques rationnelles sur les risques et les aléas du jeu des enfants.

Les spécialistes et les militants du jeu définissent les aléas comme étant les dangers dans l’environnement susceptibles de blesser gravement un enfant ou de mettre sa sécurité en péril, et que l’enfant n’a pas la capacité de reconnaître8,9,10,11,12 . Les risques sont ensuite définis comme étant les défis et les incertitudes présents dans l’environnement qu’un enfant peut reconnaître et apprendre à gérer en choisissant de s’y confronter et de tester ses limites6,8,9,12,13. L’exemple classique est celui de l’enfant qui grimpe dans un arbre. La hauteur de l’arbre présente un risque que l’enfant peut gérer—en décidant jusqu’où grimper1,6,9. Un aléa possible serait une branche pourrie dont l’enfant est inconscient et qu’il ne sait pas encore détecter9. Le jeu devrait donc se dérouler dans un espace dont les aléas sont gérés par les adultes, mais dont les risques, ou les défis, sont gérés par les enfants durant le jeu1,9,13. L’équation de Kaplan et Garrick (1981)14 exprime de façon plus quantitative le rapport entre les risques et les aléas :

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(« Risque = Aléa / Sauvegardes »; Kaplan et Garrick, 1981, p. 12)

Si l’on combine cette équation avec les définitions des risques et des aléas retenues par les spécialistes du jeu, les adultes gèrent les aléas en créant des sauvegardes qui réduisent le nombre et l’ampleur des aléas dont un enfant peut être inconscient, mais qui laissent aux enfants suffisamment de risques ou de défis à rencontrer et à gérer1,5,9,13,15. En poursuivant l’analogie de l’arbre, les adultes sont responsables de la santé de l’arbre et de l’enlèvement des branches pourries, tandis que les enfants sont responsables de la hauteur à laquelle ils grimpent et du chemin qu’ils empruntent pour atteindre la cime. Nous pouvons même apprendre aux enfants à détecter une branche pourrie, sachant que cette connaissance deviendra une sauvegarde qu’ils conserveront avec eux9,16.

Concilier les risques et les aléas

Du point de vue opérationnel, pour offrir un espace de jeu où les aléas sont gérés et où l’on trouve des risques ou des défis bénéfiques à relever, il faut commencer par conceptualiser le but de l’espace de jeu (par exemple, un parc de jeu offrant défis et frissons, ou un terrain de jeu pour les très jeunes enfants [5p. ans et moins]). L’atténuation des aléas peut vouloir dire respecter la norme CSA pour les aires et équipements de jeu (CAN/CSZ Z614)17, exécuter une évaluation environnementale, prévoir un affichage public indiquant comment signaler un danger dans l’espace de jeu, effectuer des inspections périodiques du terrain de jeu et avoir un plan d’entretien pour que l’équipement du terrain et ses alentours soient régulièrement entretenus et surveillés. Ces mesures peuvent contribuer à éliminer les principaux aléas sans neutraliser toute possibilité pour l’enfant de se mesurer à des défis, de croître et de laisser aller son imagination.

Quand les aléas sont gérés, il devient possible de célébrer les risques et les défis du jeu. L’évaluation risques- avantages de Play England6 est un exemple d’outil utilisé dans les espaces de jeu pour établir les risques et les bienfaits qui en découlent. Le but de cet outil est de répondre à la question : « Quels sont les avantages possibles de tel ou tel risque? Quelles en sont les conséquences possibles? » Les risques bénéfiques peuvent constituer l’attrait profond d’un terrain de jeu communautaire. L’excitation et les défis qu’ils recèlent, l’intensité de l’attention qu’il faut déployer pour parcourir des structures de jeu intéressantes et dynamiques sont les éléments clés qui font que les enfants et les familles retourneront sans cesse vers un espace de jeu18. Un bon terrain de jeu offre des défis bénéfiques pour le jeu à divers stades de développement et fait en sorte que les enfants y reviennent encore et encore, en grandissant, pour maîtriser de nouvelles habiletés.

Le besoin de terrains de jeu risqués mais sans danger

Permettre aux enfants d’éprouver l’incertitude qui accompagne le jeu comportant des risques ou des défis les aide à développer leurs réactions émotionnelles, leurs aptitudes physiques, leurs habiletés d'adaptation et leur capacité à faire face à l’adversité5,10,13. En grandissant, les enfants qui peuvent maîtriser les situations à risque ont moins besoin des adultes pour gérer les aléas à leur place16, de sorte que quand ces enfants deviennent adultes, ils sont capables d’explorer le monde autour d’eux en toute sécurité et en toute confiance.1

Bien pensée, une justification de l’acceptabilité de certains risques devient le fondement d’une défense juridique en cas de blessure6. Les tribunaux canadiens savent que les enfants développent leur responsabilité d’être conscients de ce qui les entoure, et qu’il y a une différence entre les risques cachés (les aléas) et les risques visibles que les enfants peuvent et devraient détecter tout seuls. Le système judiciaire voit une différence entre un espace de jeu mal entretenu où l’on peut se blesser, et les collisions et les chutes qui résultent de l’enthousiasme des enfants. Dans les faits, un appareil judiciaire raisonnable va à l’encontre des craintes des écoles et des municipalités et devrait apaiser leur inquiétude d’être poursuivies18. L’attitude des tribunaux canadiens laisse aussi entendre qu’il y a lieu d’encourager les risques bénéfiques ou les défis du jeu. Bien que le système judiciaire n’ait pas encore explicitement codifié les avantages des risques ou des défis sur le plan développemental, le bons sens voulant que « les enfants sont partout pareils et un accident peut arriver » semble encore régner19.


Bibliographie

  1. Brussoni, M., Olsen, L.L., Pike, I., et Sleet, D.A. « Risky play and children’s safety: Balancing priorities for optimal child development », Int. J. Environ. Res. Public Health, vol. 9, n° 9 (2012), p. 3134-3148
  2. « Risque », fiche terminologique de l’Office québécois de la langue française, 2008.
  3. « Aléa », fiche terminologique de l’Office québécois de la langue française, 2008.
  4. « Danger », fiche terminologique de l’Office québécois de la langue française, 1975.
  5. Armitage, M. « Risky play is not a category–it’s what children do », ChildLinks. Children’s Risky Play, vol. 3 (2011), p. 11-14.
  6. Ball, D., T. Gill et B. Spiegal. Managing Risk in Play Provision: Implementation Guide, Play England, 2013.
  7. Christensen, P., et M.R. Mikkelsen. « Jumping off and being careful: children's strategies of risk management in everyday life », Sociology of Health & Illness, vol. 30, n° 1 (2008), p. 112-130.
  8. Brussoni, M., et coll. « What is the relationship between risky outdoor play and health in children? A systematic review », International Journal of Environmental Research and Public Health, vol. 12, n° 6 (2015), p. 6423-6454.
  9. Almon, J. Adventure: The Value of Risk in Children's Play, Alliance For Childhood, 2013.
  10. Little, H. « Thrills (and spills?) in the playground: Describing children's physical risk taking behaviour during outdoor play », 18thp. European Early Childhood Education Research Association (EECERA) Annual Conference, Stavanger (Norvège), 3-6p. septembrep. 2008.
  11. National Quality Standard [NQS]. « Talking about practice: Environment makeover », 2012.
  12. The Play Safety Forum. (2008). Managing Risk in Play Provision: A position statement.
  13. Sandseter, E.B.H. « Children’s risky play in early childhood education and care », Child Links, vol. 3 (2011), p. 2-6.
  14. Kaplan, S., et B.J. Garrick. « On the quantitative definition of risk », Risk analysis, vol. 1, n° 1 (1981), p. 11-27.
  15. A Playworker’s Guide to Risk, Play Wales, 2008.
  16. Knight, S. « Why adventure and why risk in the early years », ChildLinks, vol. 3 (2012), p. 15-18.
  17. Association canadienne de normalisation [CSA]. CAN/CSZ-Z614-14 – Aires et équipements de jeu, 2014.
  18. Staempfli, M. « Reintroducing adventure into children's outdoor play environments », Environ Behav, vol. 41, n° 2 (2009), p. 268-280.
  19. Spiegal, B., et coll. « Children’s play space and safety management », SAGE Open, vol. 4, n° 1 (2014), 2158244014522075.

Date de modification : 8 février 2019